Le thé fut introduit pour la première fois au Maroc à la Cour de l’empereur Moulay Ismail (1672-1727), qui détenait soixante-neuf prisonniers de guerre britanniques et refusait de les libérer. On rapporte que la reine Anne d’Angleterre (1665-1714) estime que « deux grandes fontaines à thé en cuivre et un peu de thé de bonne qualité » seraient ce qui pourrait adoucir le cœur de l’empereur du Maroc.
Abdellah Ben Aicha, minister and ambassador of the Moroccan sovereign to Louis XIV, insistently requested some from the Parisian merchant Jourdan, who maintained business relations with Morocco.
On rapporte aussi que Moulay Ismail pressait les religieux franciscains de sa capitale, Meknès, de lui apporter du thé parmi les cadeaux d’usage.
Habitudes de consommation du thé au Royaume
Le thé à travers les régions.
Aujourd’hui, le thé est, après le lait et les dattes, la seconde constante des traditions d’accueil marocaines. Du plus modéliste au plus riche, il n’est de foyer où l’on ne serve au visiteur un voire plusieurs verres de thé. Le cérémonial du thé varie selon les régions, mais aussi selon les moyens. La préparation de « ataï bi naanah » différe également selon les habitudes alimentaires.
« La grande politesse étant d’offrir le thé à la personne qui va visiter un de ses amis, on n’a aucun égard à l’heure : le thé est toujours apporté ; il est servi sur une table dont les pieds sont très courts. On le fait au Maroc en y mêlant des feuilles de menthe et de tanaisie. Lorsque cette mixtion est bien infusée, on la verse dans de superbes tasses de porcelaine des Indes, d’une petitesse remarquable. Elle est présentée sans lait ni crème, avec quelques gâteaux de confiture sèche. La petite quantité que l’on sert à la fois de cette boisson fait voir tout le cas que les Maures en font. Un régal de thé dure au moins deux heures; il n’ y a que les gens riches qui puissent en boire, à cause de la rareté dont il est en Barbarie, » G. Lemprière (1790). (Médecin anglais venu au Maroc pour soigner le fils du sultan).
Régions du Souss et Sub-Saharienne
Quant aux peuples du désert, grands amateurs de thé vert, c’est toute leur spiritualité qui s’exprime au travers du partage du thé, symbole silencieux de leur générosité. Il est omniprésent dans le désert… Le thé vert, qui serait arrivé au Sahara par l’Océan au cours du XVIII siècle, constitue aujourd’hui l’un des principaux produits du commerce saharien avec le traditionnel pain de sucre que l’on casse en morceaux. l’explique Monod dans Méharées (Actes Sud, Arles, 1989) : « Petites théières, verres Décoction âpre pour le premier verre, puis affreusement Sucrée, sirupeuse. La – tournée – liturg- Comme ajopoeu minuscules. que se compose de trois verres, parfois de quatre. La mixture se parfume a l’occasion de menthe, de – gartoufa- (mélange aromatique), de girofle, de lavande, voire de poivre. Bien évidemment, le nombre de verres varie selon la richesse des hotes. Les Touaregs nomment – timia – ce rituel des trois verres .consacrés que l’on boit en devisant. Le thé est généralement accompagné d’un morceau de galette Cuite dans la cendre à même le sable du désert. La galette est servie telle quelle ou mouilée de lait de brebis sucre, ou encore de petit-lait aigre
O moiteur des hammams, souvenirs intenses des heures de plaisir à se fondre dans la vapeur de ces huis clos, humides, silencieux, traversés de pudeurs et de tentations rentrées, de frôlements indicibles et feutrés, de secrets bavardages et de corps livrés à des mains expertes qui pétrissent les chairs molles ou tendues de muscles. La brume des hammams enveloppe les hommes entre eux, les femmes entre elles, les délivrant autant de leur honte, de leur inhibition, que de leur impuissance à se montrer tel que l’on est, nu ou à moitié nu, comme devant le pardon de Dieu, ou comme devant le jugement interdit des humains. Le thé, point d’orgue de ces heures volées au hammam ! On sort de cette antichambre de toutes les convoitises pour mieux se retrouver autour d’un thé à la menthe, et de quelques pâtisseries diverses posées sur de grands plateaux de cuivre, affalés que nous sommes alors dans les profondeurs des coussins, dans un salon où chacun s’observe en toute liberté, chacun se livrant à l’autre, le corps ramolli et l’esprit fécond. »
Gilles Brochard. Petit Traité du thé (Éditions de la Table Ronde, Paris, 1997).
« Le thé à la menthe remue en nous des imaginaires romantiques. On rêve de départs, de caravanes, de tentes bédouines, d’échoppes de thé à la frontière du désert, de foulards bleus et de cris stridents prononcés par des femmes voilées. On recompose des histoires d’amour insensées, de harems, de califes, de regards espiègles et de complots fomentés dans de luxueux sérails ou dans de piteux caravansérails, de cuisines aphrodisiaques et de théières suspectes remplies de mahjoun, cette pâte composée de haschich. On s’abandonne à retrouver, dans une mémoire qui n’est pas la nôtre, des fêtes colorées organisées autour d’interminables repas de makroutes et de dattes, cuisinés avec amour par des maîtresses de maison qui ne vous serviraient pas le thé si vous refusiez d’honorer ces douceurs infinies. O profondeur des extases au crépuscule ! »
Gilles Brochard. Petit Traité du thé (Éditions de la Table Ronde, Paris, 1997).
L’eau
Le procès du thé est le trajet de l’eau. Le thé ne s’opose à l’eau comme le vin, ni ne la recouvre par sa Couleur ou son caractère – comme le café, il s’y risque totalement et la fait paraitre à sa mesure. Au cours de sa fabrication, la feuille chinoise perd l’eau qui la sustente au cours de la préparation, elle la retrouve comme véhicule ; au cours de la dégustation, elles s’appuient l’une contre l’autre pour une épreuve sans fond. On oublie trop souvent que le the est. somme toute, une eau subtilement parfumée, et qu’à ce titre les qualités de celle-ci sont à prendre en compte. On raconte que les maîtres de the chinois étaient capables de reconnaitre dans l’infusion le goût spécifique de certaines eaux, qu’elles aient été puisées au bord d’un fleuve, dans le cours d’un torrent, ou les profondeurs d’un puits .
Le sucre
Le sucre ès le début de sa consommation au Maroc, le thé a été accompagné de sucre, collant parfaite- ment au goût des Marocains, peu enclins à la consommation de boissons non sucrées, et rappelant notamment l’influence de la consommation de thé à l’anglaise.
Les Marocains boivent du thé sucré, voire très sucré. L’ingrédient a connu une évolution frappante, et a fini par prendre une importance disproportionnée par rapport à sa fonction de départ. Dans certaines situa- tions, le thé a été prisé comme un passeur de sucre, autrement dit un prétexte pour consommer du sucre riche en calories. « Boire un verre de sucre » est une expres- sion usitée dans certaines régions rurales du pays pour désigner le thé.
Le choix du sucre, entre morceaux, lingots et pain, est également important dans la préparation du thé. Certains puristes refu- sent encore aujourd’hui de préparer du the autrement qu’avec du sucre en pain, parfois introuvable et de plus en plus cher. Certes, le sucre en pain donne un goût caractéristique au thé marocain, mais il a surtout acquis à travers cette consommation une grande importance symbolique. Quand tous les autres mets sont mitonnés à l’abri des regards, le thé veut être vu. Le préparer à la cuisine serait manquer du régles traditionnelles de l’hospitalite
Menthe et herbes aromatiques
La menthe constitue la composante qui fait l’originalité de la recette marocaine du thệ, à tel point que l’expression « thé à la menthe » est devenue emblématique et renvoie systématiquement aux images exotiques liées au Maroc telles que « couscous, tajine, « caftan », « Souk », etc. Mais contrairement à l’image répandue à l’étranger, la menthe n’est pas systématiquement utilisée dans la préparation de thé à la marocaine, qui peut se faire, en fonction des régions considérées, à base de thé vert seul, ou de thé accompagné de menthe ou même d’autres herbes aromatique.
En effet, différentes plantes aromatiques sont utilisées en supplément ou à la place de la menthe et ce, en fonction des régions, de la période de l’année et de la disponibilité conséquente des dites plantes. Durant la préparation, l’officiant commence de manière générale par froisser à la main menthe et herbes aromatiques, afin qu’elles exhalent mieux leurs senteurs, et place ensuite les morceaux de sucre dessus afin d’empêcher les feuilles de remonter, lorsqu’il ajoute de l’eau, ou de brûler hors de l’eau, ce qui en altérerait le goût. Il replonge ensuite les feuilles récalcitrant dans l’eau bouillonte à l’aide d’une branche de menthe, qu’il laissera ensuite dans le verre de rinçage. Il laissera enfin reposer la préparation.
LE CÉRÉMONIAL DU THÉ MAROCAIN
Le mode de préparation
Le cérémonial du the appartient désormais au patrimoine culturel du Maroc, et permet d’accéder à l’intérieur marccain aux formes de l’hospitalité et de l’accueil typiques du pays Il s’inscrit dans un regard attentif aux traits spécifiques d’un Maroc qui, pour certains, était encore peu connu, et commençait à peine à s’ouvrir. En elfet les premières descriptions du déroulement, plus ou moins détaillées, du cérérmorial marocain de préparation du the sont livrées par des témoignages d’Euro- péers, diplomates ou explorateurs du XIX siecle, relayés plus tard par différents auteurs du protectorat. La majorité d’entre ces descriptions relatent des scènes typl- ques de notable marocain recevant des visiteurs de passage, organisant une réception Ou accueillant des invités en grand nombre. La notion de rituel et de prestige y est omniprésente Mais au-dela des descriptions failes et de leur degré de fidélité, le cérémonial de préparation du thé marocain est un ordonnancement précis de gestes, de fonctions et d’étiquettes dans un espace détermine. Tout d’abord, qui se charge de la préparation de la boisson ? Généralement le maitre de maison ou un homme spécifiquement désignė pour cette mission délicate Une personne d’autorité – ce qui ne signifie pas – autoritaire- chef, pere, doyen, qui, par son engagement et ses responsabilités, met à disposition de son hote les fruits de son action .
La théière
Au Maroc la théière, se nomme « berrad » littéralement « refroidisseur «
La forme classique de la théière marocaine est caractéristique au point de devenir emblématique d’un certain savoir-vivre marocain. Cette forme a toutefois subi diverses évolutions inspirées de modèles étrangers et de modes passagères. En outre, diverses matières sont aujourd’hui utilisées, mais l’usage de l’argenterie et du métal demeure prépondérant. Celui- ci, contraire aux concepts de base de préparation du thé, est destiné à combattre l’amertume du thé à la menthe, le métal transmettant un goût acide.
Une autre explication de l’utilisation de théière en métal figure dans une étude sur la théière maure, publiée au début des années 1950.
Théodore Monod y signalait l’invention de la théière « du type globuleux, en fer émaillé polychrome, de couleur vive unie ou orné de motifs floraux stylisés. Plus robuste et pouvant être maniée avec moins de précaution que la théière d’étain piriforme, qui devient volontiers un article de tente et de campement, la théière émaillée tend au contraire à devenir celle du bivouac, du voyage et des brutalités de la route».
Modeles fargement inspirés des théières anglaises et prénommés au Maroc « Ettir en référence à l’oiseau place sur les covercles.
Le nécessaire à thé.
« Observer comment les plateaux rituels font leur entrée en scène >> est déjà un signe ; selon qu’ils sont en métal doré ou en fer- blanc, ciselés ou nus, couverts d’une serviette brodée ou non, et si on les pose sur le seniya, meuble bas en métal, le tefor, en bois ouvragé et peint, ou à même le sol d’une nouala, » Xavier Girard, Symboles du Maroc
(Éditions Assouline, Paris, 2001).
Les plateaux.
Éléments de base des « dara » et traditionnellement nommés sinya », soit littéralement en arabe « la chinoise » en référence à l’origine du thé, peuvent être de forme circu- laire ou ovale et sont tradi- tionnellement recouverts de voiles brodés précieux et raffinés en vue de protéger les articles – boîtes, verres, accessoires, etc. – qu’ils contiennent. Des broderies de Rabat ou Fès viennent orner ces délicats voilages, autrefois pièces maîtresses des trous- seaux de jeunes filles…
Il est vrai que le pacha El Glaoui, grand esthète et amateur d’objets d’art et de pièces rares et authentiques- pour preuve, la montre Pasha de la maison Cartier aurait été réalisée et nommée à son attention – détenait au sein de son palais de Marrakech une collection unique d’objets liés au thé, dont la plupart étaient en argent massif. Après sa mort, plusieurs éléments de cette collection ont été rachetés par de grandes familles, le reste trône toujours dans son palais « stînya >> transformé aujourd’hui en résidence d’hôtes réservée aux présidents et chefs d’Etat de passage à Marrakech. Selon une autre version, le processus serait inverse et Richard Wright n’aurait à l’origine fait que copier les théières que les riches familles marocaines faisaient réargenter à Manchester.
La tasse de thé
Les verres à thé marocains, souvent décorés de frises végétales dorées, sont le reflet des verres à vin en argent autrefois utilisés par les Romains lors des banquets, comme dans le célèbre trésor de Boscoreale. L’usage des tasses à thé est rare, voire inexistant, dans les milieux marocains. Au Maroc, le thé se boit chaud dans un verre de taille moyenne, souvent décoré, tenu entre le pouce et l’index, placé entre le fond du verre et le dessus, généralement marqué par un liseré doré. Le verre à thé peut être en cristal de roche taillé et estampillé, dans les milieux aisés, en cristal industriel ou en verre de couleur or ou argent, décoré d’arabesques et de motifs souvent orientaux agréables à l’oeil, ou tout simplement ordinaire – les verres appelés « hayati » sont les plus courants,
Un grand merci à Noufissa Kessar Raji
L’art du thé au Maroc.
Traditions.
Rituels.
Symboles.
photographies de Michel Lebrun